B. Fontanellaz: Entre Sonderfall et intégration

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Titel
Entre Sonderfall et intégration: les partis politiques suisses à l’épreuve de l’Europe (1989–2014).


Autor(en)
Fontanellaz, Blaise
Reihe
Publications du Global Studies Institute de l’Université de Genève (17)
Erschienen
Genève 2019: L’Harmattan
Anzahl Seiten
208 S.
von
Olivier Meuwly

La recherche sur l’histoire des partis politiques dans notre pays avance au ralenti depuis de nombreuses années. Depuis les travaux fondateurs d’Erich Gruner dans les années 1970 et 1980, elle n’a progressé que par à-coups. Dans la foulée du livre fondateur de Gruner sur les partis politiques, sorti en 1969 et réédité en 1977, quelques études ont paru, parfois sous la conduite du même auteur, surtout sur l’histoire du mouvement ouvrier. Quelques rares études ont également vu le jour sur le parti radical-démocratique, puis d’autres, un peu plus nombreuses, sur le parti socialiste. C’est alors qu’Urs Altermatt a inauguré un travail en profondeur sur l’histoire de la démocratie chrétienne helvétique, travail suivi de thèses et de mémoires importants. Parfois quelques biographies d’hommes politiques permettaient d’entrer par une porte perpendiculaire dans ce champ toujours en friche qu’est l’histoire des partis politiques suisses.

Thomas David et Philipp Müller ont d’ailleurs insisté sur ce constat dans la revue Traverse en 2007, dans l’espoir de rallumer une flamme encore vacillante. Nous-même, dans les années 2000, avons repris les travaux sur le parti radical-démocratique, peu servi jusque-là malgré son rôle central dans la construction de l’État fédéral, et tenté une synthèse sur les partis, en 2010, prolongée par un ouvrage plus comparatif, avec Oscar Mazzoleni. En même temps, certes parfois étudiée à travers l’histoire du mouvement agrarien, l’UDC, de par ses succès électoraux, fêtait un retour remarqué dans la littérature scientifique, sous la houlette notamment de Damir Skenderovic et d’Oscar Mazzoleni. L’histoire parlementaire avait été elle aussi abandonnée et c’est le mérite d’Andrea Pilotti et de ses collègues de l’avoir réactivée dans nos contrées, à nouveau dans un numéro de la revue Traverse, paru en 2018.

L’ouvrage que vient de publier Blaise Fontanellaz, chercheur à l’Université de Genève, est donc fondamental et comble indiscutablement une lacune, d’autant qu’il se concentre volontairement sur l’histoire des partis à travers le prisme peu arpenté de leurs idéologies, une thématique qu’il entend, comme il le proclame lui-même, réhabiliter. L’auteur a renoncé à dresser un vaste panorama des idées véhiculées par les principaux partis suisses pour se focaliser sur les rapports qu’ils entretiennent avec la question européenne, un sujet brûlant qui hante toujours la vie politique suisse. C’est ainsi à un exercice redoutable que s’expose Fontanellaz, puisqu’il ausculte les idées des partis à la fois dans leur épaisseur historique mais aussi dans une approche d’histoire immédiate, puisque les partis portent encore dans leurs discours les éléments condensés au fil de débats qui remontent à une trentaine d’années maintenant.

Disons-le d’entrée de cause, le résultat de cette investigation originale est passionnant. L’auteur cherche à comprendre de quelle manière les quatre partis politiques gouvernementaux (radicaux puis PLR, socialistes, UDC et PDC) se sont positionnés sur la question d’un rapprochement avec l’Union européenne sur la période significative allant de 1989 à 2014. Il embrasse ainsi une ère temporelle d’une quinzaine d’années où la politique suisse a appris à se structurer par rapport à ce dossier qui a fini par ouvrir la voie, à partir de 1992 et le refus de l’adhésion à l’Espace économique européen, à une reconfiguration profonde du paysage politique helvétique, avec la montée en puissance de l’UDC. Une ère décisive qui voit en parallèle l’érosion des deux grands partis centristes que sont le PRD / PLR et le PDC, face à un PS longtemps solidement implanté dans son sentiment pro-européen, avant que son enthousiasme initial ne se refroidisse à la suite des secousses qui ont agité l’Union européenne. Un sujet que l’auteur ne traite que peu, car ces développements se manifesteront dans toute leur force ultérieurement.

Fontanellaz démonte de manière convaincante les ressorts idéologiques à l’œuvre dans les partis suisses durant ces années cruciales. Il décrit comment le PRD, pilier du «système» politique suisse, a quitté sa posture «libérale-nationale» longtemps prédominante pour adopter un lexique «utilitariste», «dénationalisé» et orienté vers une efficacité économique alimentée par un néo-libéralisme qu’il tentait de faire sien. Sans doute cet ouvrage, tiré d’une thèse de doctorat défendue en 2017, passe-t-il un peu vite sur les débats plus amples qui ont déchiré le parti, mais on ne peut guère contester que ce repositionnement encouragera maints électeurs radicaux / libéraux (le cas du parti libéral n’est pas analysé mais aurait mérité un bref commentaire) à rejoindre les rangs de l’UDC. Car, au même moment, celle-ci renoue avec ses thèmes fondateurs, mâtinés d’un libéralisme économique et d’un discours social de couleur plus «populiste», au nom de la défense des travailleurs suisses. Son succès sera foudroyant. Le PDC, de son côté, est resté fidèle à sa vocation «morale-universelle», à l’œuvre dans l’ensemble de la démocratie chrétienne européenne. Mais sur la mission dont se sentait investi ce parti s’est peu à peu greffée une ambition plus «économiste», aimantée par la prospérité du pays. Le PS, enfin, était assurément mû par son programme à la fois internationaliste et multilculturel qui collait bien à son projet européen. Bien que le PS, jusqu’en 2014, n’ait pas dévié de ses choix pro-européens, son soutien deviendra à son tour plus «utilitariste», dans le sens social du terme.

Fontanellaz ouvre de nouvelles perspectives sur l’évolution des partis suisses représentés au Conseil fédéral et sur leurs idées-forces. Il permet de repenser la construction de leurs doctrines plus en amont, la question européenne fonctionnant comme un extraordinaire catalyseur des tensions qui s’étaient accumulées depuis 1959, année qui vit la naissance de la fameuse «formule magique». L’auteur a fondé son travail sur une source principale: les articles publiés dans les services de presse des partis analysés. On peut regretter qu’il ne l’ait pas étoffée davantage, par exemple par le truchement des débats parlementaires, qui lui auraient permis d’élargir son horizon et de fouiller ainsi des nuances que ne reflètent pas forcément ses schémas marqués par la science politique, son terrain d’origine d’ailleurs. Il a procédé à de nombreux entretiens, dont les résultats percent de manière anonymisée: il est dommage qu’il n’ait pas trouvé le moyen de donner plus de consistance à ces témoignages de première main, qui l’auraient aidé à sortir d’articles de presse réduits à des statistiques. Il n’en demeure pas moins que l’enquête de Fontanellaz est précieuse et on peut émettre le souhait qu’elle donnera l’envie à d’autres chercheurs et chercheuses d’aller creuser les thèses des partis dans d’autres domaines.

Zitierweise:
Meuwly, Olivier: Fontanellaz, Blaise : Entre Sonderfall et intégration: les partis politiques suisses à l’épreuve de l’Europe (1989–2014), Genève 2019. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 70 (2), 2020, S. 342-343. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00063>.

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